Radicalisme sans frontières ou « défaite de la pensée » ?

 

Abstract :

 

La légitimation de la violence, hier était philosophique, « Dieu est mort », soulevait Nietzsche, un concept moteur pour les prétextes à la violence. Selon lui, « la vie » est le principe énergétique de tout ce qui est, apparaît et devient. Le monde est une perpétuelle activité de création et de destruction, de conquête et de résistance.

Cette même légitimation est, aujourd’hui, pragmatique : les adeptes du chantage à la terre brûlée mettent le feu au nom de dieux extrémisés, et les architectes du « nouvel ordre mondial »  allument des contre-feux pour se débarrasser de l’ancien ordre et se partager le nouvel échiquier mondial au nom d’une thèse-crédo « jamais plus d’idiologie » et « oui à la globalisation » économico-stratégique d’un néo-capitalisme. Par ce fait, le nouvel ordre mondial devient le seul concept de développement admis et qu’on nomme, cyniquement, durable !

Les seules questions qui restent dès lors sujettes à délibération touchent à l’altérité et à la résilience : Il faudrait se résigner et s’adapter sans autre alternative possible !

Reste à savoir quelle altérité et quelle résilience ? Devenus mots valises, victimes de leur succès théorique et incongru, ces préceptes indissociables de la cohabitation socioculturelle et indispensables pour la cohésion du monde, se sont perdus dans les réalités d’une zone MENA et méditerranéenne en ébullition, depuis plusieurs décennies et qui s’est dangereusement enflammée dernièrement menaçant l’Europe et le reste du monde. Zone où les pressions Nord/Sud se rencontrent, se froissent et se creusent comme des failles tectoniques avec une suite de chaos sans précédent. Il faudrait retourner très loin dans l’histoire pour voir l’Europe devant de tels dangers et défis venus cette fois-ci de la Méditerranée, et de constater qu’ elle s’englue, paradoxalement, dans une dépendance géostratégique, péremptoire et fragilisante, basée sur les aprioris et les fuites en avant.

Quelle altérité puisque tout ce qui a été fait sous ce titre n’a pas abouti à un vrai pluriculturalisme, pour ne pas dire qu’il a exacerbé les différences et les tensions ? Quelle résilience puisqu’on a rien prévu pour contenir toutes les vulnérabilités, pourtant, depuis longtemps flagrantes qui sous-tendent les zones MENA et Sub-Saharienne, et qui aboutissent à un déni de l’autre, ou à une déshumanisation de certains peuples qui ont subi une extermination systématique ? Par ailleurs, une résilience, d’un autre genre semble s’installer, celle des dictatures politiques et idéologiques qui gouvernent ces zones, pilotées par les intérêts du  nouvel ordre  mondial, et qui s’adaptent aux changements exigés et affermissent leur emprise sur les peuples de la région.

Est-ce qu’on n’a pas fait assez ? Est-ce qu’on n’a pas su prévenir ? Ou est-ce que la politique du   « chaos constructif » et la « guerre de démocratisation », était un échec planifié dans le jeu stratégique du monde globalisé décidé de façon unilatérale ? En effet, en 2005, alors que les opérations militaires en Iraq étaient en cours depuis deux ans, la Secrétaire d’état américaine Condolezza Rice parlait d’adopter une stratégie de « chaos constructif » dans le cadre d’une refonte du « grand Moyen Orient ». Une décennie plus tard, la vision géopolitique étasunienne ainsi qu’un certain laxisme européen ont produit une désintégration du tissu économico-social des Etats de la région avec la crise migratoire vers l’Europe, en toile de fond. Le retour puissant de la Russie dans une zone qu’elle a longtemps convoité change, par ce fait, les plans d’un « nouveau Moyen-Orient » dessiné par Washington (Condoleezza Rice, juin 2006).

Une certaine dialectique complice s’établit, d’une part, entre les décideurs que nous baptiserons  « premier monde », et des nouvelles stratégies se font, d’autre part, dans un rapport de complémentarité, avec les « Caïds » autochtones, sur l’échiquier qui s’installe. Marx, disait : « je ne crois malheureusement pas qu’on puisse faire la révolution avec le vraiment pauvre ». Aucune alternative à ce « nouvel ordre » ne viendrait donc du côté du « tiers-monde », tout comme aucune solution durable ne peut venir du « premier monde ». Nous sommes dans une impasse, un nouvel esprit s’impose et de nouvelles perspectives durables ne pourraient advenir que d’un « deuxième monde » l’Europe, ou jamais.

En mars 1976, Michel Foucault décrivait, sous le terme de « biopolitique », l’avènement d’une nouvelle logique de gouvernance propre aux sociétés libérales occidentales, obnubilées par la santé et le bien-être de leurs populations. La « biopolitique » est la politique du « vivre et laisser mourir » disait-il. « Vivre » en Europe et laisser la mort consumer les pays avoisinants ! Une des conséquences c’est bien évidemment des centaines de milliers de réfugiés fuyant la mort qui frappent aux portes de l’Europe. C’est désolant, mais inévitable. S’agit-il de « la défaite de la pensée » européenne face aux chants de sirènes d’un « nouvel ordre mondial », comme l’avait pressenti, dès 1987 des intellectuels français et européens, relayés, à grand bruit et à plusieurs reprises, par le journal Le Monde, voilà plus deux décennies ? Mais ce n’est, certes, pas l’Europe qui met le feu dans ces pays, mais par contre elle risque d’en être la victime ! Faut-il sombrer dans la théorie du complot anti-européen et anti-méditerranéen fomenté par ceux à qui profite le crime ? La réflexion à ce niveau reste entière et toutes les hypothèses plausibles.

Entre temps, le grand problème est que la violence, le radicalisme, voire même le terrorisme, ne sont plus dans les champs de batailles, ni dans les zones à risque. Ils se sont invités dans chaque foyer, dans chaque bureau, dans toutes les poches, violant notre intimité et menaçant notre équilibre individuel et collectif. Le pire est qu’elle se généralise incommensurablement et  se banalise, amplifiée par la communication digitale, les réseaux, le cinéma et les jeux, pour  « s’empieuvrer » dans notre société et dans notre vie, tous âges confondus, où ses tentacules menacent de paralyser nos sens, de déformer nos valeurs et de légitimer sa présence, sous tous ses aspects, minant, ainsi, tous les fondements pilotes de la culture européenne.

Quelques réflexions autour du thème :

Faudrait-il voir dans la résistance des immigrés à l’intégration, aussi bien culturelle qu’identitaire, dans les sociétés européennes, comme une réaction de malaise normale de solidarité avec leurs « coreligionnaires » d’outre-Méditerrané agressés par le « nouvel ordre mondial » qui s’installe manu militari ?

Mais puisque l’Europe n’est pour rien dans l’instrumentalisation du chaos en cours et qu’elle en est, au contraire, la victime, ne faudrait-il pas considérer que le rechignement à l’intégration est plutôt endogène ? Ne faudrait-il pas voir que l’Europe est, désormais, en panne de pouvoir intégrer?

Si c’est le cas, pourquoi son catalyseur de laïcité et d’autres valeurs, si actif autrefois, est, aujourd’hui, si amorphe? Sommes-nous en pleine défaite de la pensée européenne ?

Une autre question, aussi cruciale, se pose : dans quelle mesure l’échec de l’intégration des immigrés dans tel ou tel pays européen, affecte le processus de l’intégration européenne ? Peut-on faire avancer l’intégration au sein del’Union Européenne sans régler le problème de la « non-intégration » à l’intérieur de chaque Etat membre?

Par contre, la tendance naissante d’un repli identitaire de certaines mouvances nationalistes ne menace-t-il pas aussi bien l’intégration intereuropéenne que l’intégration intra-étatique?

Résilience, altérité et autres appels aux bonnes intentions suffiraient-ils à faire démarrer la locomotive intégrationniste culturelle et identitaire et à constituer l’antidote du radicalisme qui s’installe ?

A toutes  ces interrogations, entre temps, les faits et les constats répondent éloquemment : le radicalisme est bien là et partout, en attitude et en acte, quelque fois  jusqu’au terrorisme, au risque de voir l’intégration devenir désintégration.

 

Axes de réflexions :

Axe 1 : Violence et radicalisation : discours, représentations, images.

Axe 2 : Déplacés / Immigrés : altérité, résilience, médiation et intégration.

Axe 3 : Diversité et médiation culturelles.